Le larron
Le larron qui embrassa un rayon de lune
J’ai ouï parler d’un larron qui entra dans une maison où habitait un homme riche. Il voulait y voler et montait sur le toit de la maison. Du haut du toit, il se mit à écouter pour s’assurer que personne ne veillait plus dans la maison et qu’il pouvait agir à son aise. Mais le maître de la maison aperçut très bien le larron. Il se promet, s’il le peut, de lui jouer un bon tour. Il dit tout bas à sa femme: Demande-moi bien haut (peu importe qu’on t’entende), d’où m’est venue ma richesse qui me permet de mener tel train aujourd’hui. Ne me laisse reposer qu’une fois que tu me l’auras fait conter. Celle-ci fit ce qu’il demandait; elle lui dit à haute voix: Sire, par Dieu, contez-moi donc comment vous avez conquis votre richesse et votre avoir. Je ne pus jamais le savoir. Je ne vous vis jamais faire le marchand ni l’usurier pour tant gagner. Je ne sais où vous avez acquis tout ce que vous possédez. Vous avez tort de me demander telle chose. Faites à votre volonté des biens que Dieu vous a prêtés. Alors elle se mit à le presser de plus en plus, et s’efforça de tout savoir. Le prud’homme faisait beaucoup de difficultés pour consentir à ce qu’elle demandait. A la fin, comme par contrainte, il lui apprit d’où venait sa richesse: Je fus jadis larron, et c’est ainsi que j’entrai en possession de tant de richesses. Comment avez-vous donc volé? Jamais nul ne vous accusa. Mon maître m’enseigna un charme auquel il attachait beaucoup d’importance: quand il était sur le toit d’une maison, il répétait sept fois certaines paroles magiques. Puis j’embrassais un rayon de lune et je descendais dans la maison, où je prenais sans difficulté tout ce que je voulais. Et quand je désirais m’en retourner, je répétais sept fois la formule magique, j’embrassais de nouveau le rayon de lune et remontais comme par une échelle. Enseignez-moi donc des paroles.
Elles sont très faciles, c’est le mot saül sept fois répété. Les paroles dites, le rayon me portait aisément; et, dans la maison où je les avais prononcées, grand ni petit ne s’éveillait. Par saint Maur!, voilà un charme qui vaut un riche trésor. Si j’ai jamais ami ou parent qui ne puisse vivre autrement, je lui enseignerai ce charme-là, et j’en ferai un riche manant. Le prud’homme lui dit alors de se taire et de s’endormir, car il avait assez veillé, et avait grand sommeil. Elle le laissa reposer et il se mit à ronfler. Quand le vilain l’entendit, il le crut endormi. Il n’avait pas oublié le mot magique…Il le répéta sept fois, embrassa un rayon de lune, y noua ses pieds et ses mains… et trébucha si bien qu’il tomba et se brisa la cuisse droite et le bras pareillement. Le rayon l’avait bien mal porté. Le prud’homme, éveillé, parut effrayé du bruit et demanda qui menait tel vacarme: On se saisit du larron et l’on court aussitôt chercher la justice pour le lui livrer. Fabliaux et contes des poètes françois des XI XII XIII XIV et XV siècles tirés des meilleurs auteurs
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DU LARRON QUI ENBRAÇA LE RAI DE LA LUNE
Li Peres ne se tut à tant S’aucuns de la maison veillast |